Créer un site internet

Excursion sur le littoral picard

 

nantes-840-1.jpgL'eau en Baie de Somme et sur le Littoral picard

Excursion dans les Bas-Champs de Cayeux et la Baie de Somme
 
Un guide de terrain est disponible ci-dessous :

Excursion en Baie de Somme - UPJV Excursion en Baie de Somme - UPJV
 
On pourra aussi se reporer à la présentation ci-dessous :
 
plaine-maritime-picarde-f.pdf plaine-maritime-picarde-f.pdf



La Picardie maritime : bas-champs et estuaires

Introduction

En forme d’entonnoir, la Manche est une mer côtière couloir où s’organise une circulation alternative mettant en communication l’Atlantique et la Mer du Nord au travers du Pas de Calais. Le domaine de la Plaine Maritime Picarde (Manche orientale, France), avec ses quelques passes, est particulier. Il se situe dans une zone d’élargissement où se produit un ralentissement des courants de marée qui réorganisent les structures géomorphologiques. Le matériel fluviatile des paléo-vallées marines est ainsi redistribué par une circulation générale quantitativement importante qui occasionne aussi des accélérations comme devant Fécamp (au sud de la côte picarde) et dans le Pas de Calais (au nord). Ces variations de la vitesse des courants de marée côtiers provoquent une accumulation latérale dans les zones de vitesse réduite. Ce phénomène de ralentissement près des côtes s’amplifie dans les hautes vallées des fleuves côtiers. Ainsi, devant la côte picarde, des quantités importantes de sédiments se sont accumulés sous l’effet secondaire de la marée, lié au volume oscillant des domaines estuariens. Dû à une accumulation sédimentaire constante, ce piège s’avère finalement excédentaire et un prisme de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur s’est accumulé.

Trois estuaires, la Canche, l’Authie et la Somme se caractérisent par des vallées toutes ouvertes vers l’ouest sous l’influence périodique des fortes houles d’origine du sud-ouest qui ont tendance à ouvrir les vallées. Il s’agit en fait d’un complexe estuarien profondément influencé par l’action humaine et bien étudié par les géomorphologistes du XXème siècle. Les bas-champs picards résultent, en effet, de nombreux siècles d’aménagements humains pour faire reculer l’emprise marine sur la Plaine Maritime Picarde. Cependant, la tendance semble changer au début du XXIème siècle. On parle maintenant de dépoldérisation et de ré-estuarisation. Il s’agira alors de permettre à la marée de fréquenter des terrains soustraits à l’influence marine. Le présent article examine les facteurs écologiques à prendre en compte dans le cadre d’une telle réorientation. Il examine en particulier, comment les perturbations climatiques globales pourront influencer les projets en cours.

Le contexte de la Manche

D’un point de vue structural. Le modèle expliquant la formation du Pas-de-Calais le plus satisfaisant est celui proposé par COLBEAUX et al. en 1977. Ce modèle repose sur la notion de blocs et sous-blocs délimités par des failles ou zones faillées mises en évidence grâce à l’utilisation d’imageries satellitaires. Il explique la formation du Pas-de-Calais au cours du Pléistocène, postérieurement aux dépôts sédimentaires, par le jeu de failles qui aurait mis en communication la Manche et la Mer du Nord. Ainsi, les falaises qui bordent le détroit du Pas-de-Calais, en Angleterre et en France, seraient d’origine tectonique et non érosive. D’un point de vue structural, ce modèle permet d’expliquer les divagations cycliques du chenal de la Somme (tantôt au nord ou au sud) par des oscillations du sous-bloc sous-jacent.

Le gradient de profondeurs décroissantes, de l’entrée de la Manche au large de la Bretagne jusqu’au détroit du Pas-de-Calais, ainsi qu’un rétrécissement progressif donnent à la Manche une forme d’entonnoir. L’onde de marée y acquiert une vélocité et une amplitude croissantes, en particulier dans les baies telles que la baie du Mont-Saint-Michel ou les baies picardes où elle atteint 9,80 m, ce qui permet de les qualifier de mégatidales. Le littoral picard se caractérise par la présence de falaises crayeuses de l’ère secondaire (Bois de Cise), au sud, sur lesquelles s’appuient un cordon littoral protégeant un complexe estuarien. On peut y définir de grandes unités qui peuvent être reprises comme les caractéristiques générales des estuaires mégatidaux :

  • les Bas-Champs de Cayeux à une cote NGF de 4 m et qui se présente comme une mosaïque triangulaire de terrains du domaine interne, soustraits définitivement à l’influence marine au moyen de digues de renclôture ;
  • le cordon de dunes qui s’étend de la Pointe de Saint-Quentin-en-Tourmont jusqu’à la baie d’Authie, puis au nord de l’Authie jusqu’à la Canche; ce cordon s’élève jusqu’à une quinzaine de mètres de hauteur et délimite le Marquenterre qui occupe l’espace entre le cordon dunaire et les marais arrière-littoraux de Noyelles, Rue et Ponthoile, ainsi que le marais de Balançon entre Authie et Canche ;
  • les baies d’Authie et de Canche ainsi que la baie de Somme où se jettent la Somme et la Maye qui couvre un vaste estuaire pseudo-deltaïque découvrant environ 72 km2 d’espaces intertidaux et où se développe un fort gradient d’immersion-émersion ;
  • un littoral fossile qui limite le plateau crayeux dans l’arrière-pays sous forme d’une falaise morte qui s’élève jusqu’à 20m de hauteur au Cap Hornu. Cette falaise est vive à Ault / le Bois de Cise.

Sous régime macro et mégatidal, les estuaires développent naturellement de vastes espaces intertidaux où les successions de faciès bio-sédimentaires présentent des gradients très lisibles. Le gradient hydrodynamique décroissant dans l'axe estuarien vers l'intérieur, suivant la diminution de la compétence des courants, est responsable de la répartition des sédiments, depuis les plus grossiers dans les zones les plus exposées de l'ouverture vers les dépôts fins des vasières internes (mollières ou "slikkes" vaseuses) associés aux zones de décantation, en arrière des cordons littoraux. La différence dynamique entre le courant de flot et celui de jusant, plus faible, est responsable du bilan sédimentaire positif qui contribue naturellement au comblement lent de nos estuaires.

La macrofaune benthique associée présentera une succession, toujours de l'extérieur vers l'intérieur, depuis les espèces marines de milieu battu, puis abrité, vers des espèces ubiquistes ou de transition, pour s'achever en fond d'estuaire avec les espèces typiquement estuariennes ou vasicoles. Dans ce schéma dynamique, les milieux arrière-littoraux, tels que les bas-champs picards, font partie intégrantes du complexe estuarien. Seule l’intervention humaine les soustrait provisoirement à l’influence marine.

 

Dynamique contemporaine et contexte global

Au cours de la transgression flandrienne qui se poursuit de nos jours, il s’est produit un piégeage de sables quartzeux apportés par la transgression. Il s’est créé alors un volume oscillant dans chaque basse vallée à cause de courant de marée induit latéral qui se comporte comme une véritable pompe à sédiments. Après un certain temps, le prisme sédimentaire qui s’est mis en place est suffisant pour briser la houle et une barrière s’installe alors sur un substrat topographiquement élevé. D’importance cruciale pour le benthos, on assiste à la création de zones internes à hydrodynamisme réduit qui se différencient de zones externes plus dynamiques, le cordon littoral se mettant en équilibre avec la houle. Une légère transgression comme l’actuelle provoque un phénomène de piégeage-décantation dans les zones internes accélérée par une production endémique bioclastique importante, induite par le benthos. Dans ce cas la dynamique de colmatages des domaines internes s’avère prépondérante sur la dynamique de transgression marine. Dans l’hypothèse d’une transgression constante, d’une stabilité du continent et d’une bonne tenue des endiguements, le phénomène ne peut que s’accroître et une courbe de marée asymétrique en résulte où le flot, plus rapide que le jusant, provoque une perte de compétence des courants faisant que l'atterrissement ne peut que progresser.

L’effet de serre et une accélération de la remontée du niveau marin auront un effet prépondérant sur les milieux estuariens et littoraux. L'étude bio-géomorphologique montre un possible effet d'une accélération du niveau de la mer au travers d'intrusions marines en estuaires mégatidaux.

Les sables quartzeux (médiane de 200 à 300 mm) constituent l’essentiel du prisme sédimentaire et tendent à recouvrir les faciès estuariens existants. Un ensemble de sédiments fins envahit donc la baie. En fond de baie, la slikke contient d’ailleurs localement une proportion notable de sablons, sablons vaseux et vases (pélites). Dans le domaine externe, on remarque une élévation des fonds devant la partie nord du cordon de galets protégeant les Bas-Champs de Cayeux. Cette avancée sédimentaire par renforcement et exhaussement du prisme sédimentaire pourrait correspondre à un renforcement de l’effet de pompage sur le déplacement des sables associés aux courants de marée. Cette argumentation démontre la possibilité d’une inversion dans l’équilibre des forces de transgression et de colmatage. Dans l’hypothèse d’un renforcement de la dynamique de transgression, associée aux perturbations climatiques globales actuelles, un recul de la barrière littorale pourrait s’en suivre, accompagné d’une pénétration plus profonde des houles efficaces. L’ensablement serait alors contrecarré et le cordon fragilisé, ayant vocation à rouler sur lui-même, réduisant ainsi la superficie des domaines internes du complexe estuarien comprenant les bas-champs.

Les conséquences des variations climatiques sur les populations benthiques estuariennes se déclinent en termes d'accroissement de la fréquence et d’intensité des tempêtes, des radiations solaires et des précipitations. Quelles en seront les conséquences sur les flux de nutriments par exemple ? Les données biologiques à l'échelle globale, qui permettraient une évaluation, sont déficitaires. Elles existent cependant au niveau local dans l’estuaire relictuel de la baie de Somme.

Les causes des évolutions observées sont à relier aux modifications des schémas de transport d'énergie, recanalisés à l’échelle planétaire et une nouvelle circulation thermohaline en cours d’installation. Cela joue un rôle essentiel dans la régulation du climat, modifié par le phénomène d’oscillation climatique qui s’est installé récemment dans l’Atlantique nord. La cause en serait des pressions atmosphériques amplifiées au niveau des Açores et de l’Islande où l’anticyclone (au sud) regagne de vigueur, alors qu’au nord, la dépression s’accentue. Le moteur en serait un affaiblissement de la Dérive Atlantique, le Gulf Stream ne trouvant plus assez d’énergie à cause d’un fléchissement de l’effet de pompage des glaces du Labrador qui disparaissent progressivement. La conséquence pourrait bien en être les tempêtes plus violentes qui, effectivement, affectent nos régions. Cette variabilité des facteurs climatiques se traduit actuellement par une accélération de la vitesse des vents extrêmes et une augmentation de la hauteur maximale des vagues en Mer du Nord.

Devenir des aménagements

Il existe des cartographies relativement fiables qui remontent au XVIIème siècle (carte de CASSINI) ainsi que des écrits qui remontent au XVIème siècle où il est question d’ensablement et de diminution du tirant d’eau des bateaux qui remontaient alors jusqu’à Abbeville. Pendant cet intervalle, le complexe estuarien perd les 4/5 de son étendue, réduisant le champ d’action des forces de colmatages et de transgression décrites plus haut. Il est vrai que la construction des renclôtures s’est échelonnée sur deux millénaires mais les aménagements qui marquèrent le plus profondément la morphologie de l’estuaire ont été réalisés sur une courte période au cours des XIXème et XXème siècles. Les ouvrages qui ont le plus artificialisé la baie comprennent :

  • le canal maritime d’Abbeville construit de 1803 à 1827 ;
  • le bassin de chasse du Crotoy mis en fonction en 1865 ;
  • la digue du chemin de fer Noyelles - Saint-Valery construite en lieu et place d’une estacade en 1911 ;
  • les digues submersibles qui en un siècle ont rigidifié le chenal de la Somme, de la deuxième moitié du XIXème siècle à 1965.

La dégradation des habitats qui en a résulté se traduit par leur altération, leur réduction, leur fragmentation, ou la destruction pure et simple de biotopes. Sous climat tempéré, ce sont les schorres et les faciès estuariens de slikke qui sont touchés en première ligne par la poldérisation. En conséquence, mais de façon indirecte, les dépôts de sédiments s'accélèrent dans les zones intertidales rétrécies.

Conclusion

Les processus et les mécanismes décrits ci-dessus à l'échelle d'un écosystème opèrent aussi à l'échelle biogéographique. Le maintien de la qualité des milieux estuariens et littoraux s'inscrit donc dans le contexte international de l'aménagement intégré (GIZC : gestion intégrée des zones côtières). L'approche holistique doit donc nécessairement compléter les stratégies de développement durable. Il faut raisonner en termes de milieux, sans négliger les populations relais, les marges.

Pour se faire, il est nécessaire de mieux comprendre les répercutions économiques et autres conséquences de la dégradation de la qualité des milieux estuariens et littoraux. C'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il est important d’élaborer une stratégie d'évaluation de l’environnement pour comprendre la variabilité naturelle des milieux estuariens et littoraux picards et de la replacer dans le contexte du changement global. Il s’agit donc de prévoir au niveau local et suivant leur degré de dépendance vis à vis de changements globaux, l’évolution de l’écosystème littoral (érosion, sédimentation, hydroclimat) et par conséquence de toute l’activité économique basée sur l’exploitation de ses ressources naturelles (ressources vivantes, minérales / paysages et espaces naturels).

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021