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Espèces invasives et biodiversité

Cette conférence a été présenté en collaboration avec Monsieur Nicolas Poulet de l'ONEMA en 2012 dans le cadre des séminaires du GIP Seine-Aval, Rouen (France).

Une présentation de diapositives accompagne le texte : especes-invasives-et-biodiversite.pdf especes-invasives-et-biodiversite.pdf


Espèces invasives et biodiversité

Introduction

L’intérêt porté aux introductions d’espèces n’est pas récent. L’exemple de la Société Impériale Zoologique d’Acclimatation en France en 1854 montre bien que, fut un temps, celles-ci étaient plébiscitées. Ces espèces peuvent être amenées dans l’environnement par des transferts volontaires d’espèces (pour la production alimentaire, les loisirs, la lutte biologique…) mais aussi par des introductions accidentelles (transport passif, structures de communication, modifications des milieux…).

Définitions

Ce qui fait qu’une espèce est jugée comme invasive tient notamment dans le fait qu’une barrière géographique est rompue et que cette espèce, si elle arrive à se reproduire dans le milieu, a un impact écologique et/ou économique sur celui-ci. Les espèces deviennent des « transformeurs » quand le fonctionnement de l’écosystème est bouleversé.

 

L'organisme, ou ses propagules, a franchi, grâce à l'homme, une barrière géographique

Espèce non indigène

= allochtone, exotique

L'organisme se reproduit dans sa nouvelle région géographique, mais ne peut se maintenir à long terme

Adventice

=occasionnelle

L'organisme se reproduit régulièrement dans sa nouvelle aire géographique, sans l'aide de l'homme et se maintient sur le long terme

Espèce introduite

=espèce naturalisée

Espèce naturalisée qui a un impact fort sur la diversité, sur le fonctionnement des écosystèmes indigènes, ou qui a un impact économique négatif

Espèce invasive

Espèce naturalisée qui bouleverse le fonctionnement des écosystèmes indigènes, éventuellement qui détermine la constitution d'un nouvel écosystème

Transformeur

 

Les termes employés dans le domaine ont évolué depuis le début du 20ème siècle. Ils se sont durcis : « aliens », « pollution biologique »…La « pollution biologique » peut renvoyer  à des pollutions chimiques mais elle renvoie également à des espèces qui ne sont pas à la bonne place et/ou en bonne quantité. Ce concept est délicat et n’est pas partagé par tous les experts.

Fondamentalement, pour le grand public et les médias, l’espèce exotique est par définition « mauvaise » et l’espèce indigène est par définition « bonne ». Purtant, l’introduction d’espèces n’est pas forcément négative. Certaines études ont montré qu’elle pouvait apporter au contraire de nombreux bénéfices économiques et sociaux et qu’il était rarement fait la démonstration formelle d’un impact écologique. A l’inverse, d’autres travaux ont cherché à prouver l’impact des ces introductions. C’est une affaire de point de vue. Les experts ne sont pas d’accord et la réflexion sort sans doute de l’aspect scientifique pour entrer dans le domaine de l’idéologie. La notion d’espèces invasives fait passer d’une idéologie de l’équilibre à un paradigme de co-changement. C’est le couple milieu/espèce qui fait que l’Homme considèrera une espèce comme invasive ou non.

Impacts ?

Le principe de précaution est probablement inapplicable pour les invasions biologiques. Si ces invasions n’existaient pas, nous ne mangerions sans doute ni de pomme de terre, ni de tomate… Cependant dans certains cas, des problèmes aigus peuvent surgir. La pullulation semble être le problème le plus important,  pas l’invasion en elle-même. Certaines espèces occasionnent néanmoins des impacts sans pour autant « pulluler » comme par exemple les espèces ayant un impact sur les espèces natives rares ou encore les espèces vectrices de pathogènes.

L’introduction d’espèces invasives doit-être évaluée sans a priori. L’impact négatif n’est pas toujours aussi tranché, les impacts démontrés sont parfois dus à des pressions sous-jacentes mais pas uniquement aux espèces exotiques, et il peut en outre y avoir des effets positifs économiques et/ou écologiques à l’introduction de ces espèces. La question est donc de savoir s’il y a plus d’impacts négatifs que de bénéfices ?

Leçons de l’écologie

Les mécanismes de compétition entre population introduite et population autochtone sont complexes. Il est essentiel de connaître les traits qui confèrent à une espèce introduite une supériorité (performance écologique) sur l'espèce indigène. Il est difficile de généraliser l'hypothèse selon laquelle le succès d'une espèce introduite repose sur le relâchement des pressions de prédation et de parasitisme dans la communauté d'accueil. Certains travaux ont porté sur la recherche de taxons plus ou moins sensibles ou de taxons plus ou moins agressifs dans l’invasion mais dans tous les cas, il est essentiel de considérer les milieux et les habitats. C’est la niche de l’envahisseur qu’il faut connaître pour gérer l’invasion. Il faut notamment avoir des informations sur l’empreinte écologique de l’espèce, sur ses traits biologiques, et sur ses moyens d’adaptation aux conditions locales (plasticité phénotypique, hybridation, polyploïdie).

Les invasives comme « passagères » du changement et non comme « conductrices » : ce n’est pas aussi tranché … certaines espèces colonisent parfaitement des milieux a priori en bon état écologique. On pourrait tout à fait dire que dans la majorité des cas, éradiquer une espèce invasive est mission impossible… En revanche son contrôle au via la restauration des habitats et de mesures directes (piégeages, arrachages) peut être envisagé. Le développement des populations invasives se fait dans un milieu donné. Il est donc nécessaire de connaître les corridors biologiques utilisés, les flux d’énergie et de matière ou les maillons éventuels manquants. L’invasion va également dépendre des interactions biologiques possibles dans le milieu et des conditions physico-chimiques de celui-ci, type pollution. L’approche écosystémique est ainsi à promouvoir pour comprendre l’ensemble de ces enjeux environnementaux.

Changement climatique

Dans le contexte du changement climatique, les aires de répartition des espèces vont évoluer, les habitats-clés d’aujourd’hui vont devenir plus fragiles et moins résilients. Il est donc indispensable, dans la gestion de ces phénomènes, de se concentrer sur les fonctionnalités écologiques en relation avec les biens et services rendus aussi bien que sur la structure (biodiversité). Ce sont finalement les trajectoires de l’écosystème qui vont être intéressantes. Le changement climatique est un agent global de transformation inévitable mais conserver un « équilibre » rigide reviendrait à promouvoir une nature « pure » sans dynamique. La conservation et la restauration doivent s'appuyer sur des habitats en voie de changement ainsi que sur des espèces souvent en cours de redistribution. Les législations doivent être adaptées en fonction de cela.

Conclusion

En conclusion, l’invasion des communautés dépasse la seule considération d’une perte de biodiversité au sens strictement écologique. Il est nécessaire d’associer l’écologie et la biologie évolutive pour mieux connaître les phénomènes d’invasion. Dans le futur, il sera important d’observer et de suivre les milieux de l’estuaire de la Seine pour constituer des outils méthodologiques d'aide à la décision. Il ne faut pas attendre les dommages pour les gérer. L’évaluation d’impact des invasions passe par un rapport coûts-bénéfices  qui doit prendre en compte la dynamique spatio-temporelle des écosystèmes, les représentations sociales, la perception des mesures de gestion, et la prise en compte sociétale.

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021